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Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.

L'IMPENSABLE, L'IMPANSABLE

 

En Australie, trois Belgiques sont parties en fumée. Barbecue de la taille d’un continent, tout y grille. Les milliards de bêtes, d’arbres, de vies.  D’espoirs, d’amours, de projets. Nous autres nous réjouissons que ce brasier soit entouré d’eau : allez, je vous mets au défi de ne pas avoir pensé à ça. Au train où vont les choses, les flammes auraient bien pu venir nous lécher. Impensable, impansable.

 

 

Quand deux avions ont percuté les tours jumelles, en 2001, on n’en était qu’au début de ces non-hallucinations collectives au sens de : « T’as pas rêvé ». Ils ont eu beau s’agiter, les négationnistes, il s’était bel et bien passé quelque chose de sidérant. Impensable. Et au bout du compte, impansable.

 

Je me demande jusqu’à quel point l’impensable de la Shoah, trop impensable pendant trois quarts de siècle, parce qu’il restait des forces qui pensaient ça pensable, ne se révèle pas encore plus brutalement aujourd’hui dans son horreur, avec toujours plus de preuves, d’images. Impansable. Mais alors, quand tant d’impensable devient notre quotidien, n’y a-t-il pas un risque de banalisation ? Quand la guerre de 14-18 s’est achevée, une des guerres les plus idiotes et les plus mortifères jamais connues, on a dit : « Plus jamais ça ». C’était une façon de glisser l’impensable avec la poussière sous le tapis. Les cauchemars, on voulait les oublier. Parce que c'étaient des cauchemars dont on se réveillait.

 

Quand on nous a tué, avec l’équipe de Charlie Hebdo, notre jeunesse de babyboomers, biberonnés à la quiétude de la fin de l’histoire, on s’est dit égoïstement : impensable… Cabu, Wolinski, tu rigoles ? Impansable. Hélas, l’histoire n’est pas finie pour tout le monde.

 

Impensable : dans tout l’Occident anesthésié par la fuite en avant mondialiste et consumériste, les peuples se sont rebellés. Quoi ? Des gens nourris au Nutella, smartphone greffé à la main, bien à l’aise dans leur société, tellement nantis ? En France, voici qu’ils enfilent des gilets jaunes et mettent en péril la République, rebondie et assoupie quand elle devrait être un combat de tous les instants.

 

Impensable, ce petit Mr Zuckerberg avec ses milliards de sujets, maître d’un Leviathan que Hobbes et Orwell n’auraient pu concevoir. L’auriez-vous envisagé il y a seulement dix ans. Un basculement inimaginable de la façon d’être ou ne pas être ensemble. Et nos nations, pendant ce temps-là, où il faisait si chaud, parce qu’on s’y serrait, dedans, parce qu’on se frottait, dehors, se délitent parce que la force de l’aimant s’est évanouie et que son pouvoir magnétique ne touche désormais plus que les damnés de la terre qui veulent venir y être moins malheureux, pauvres, seuls, malades. Désormais, voici la planète unifiée pour liker une photo de chat, pour RIPer un sportif disparu. La communauté de destin, dans cette perspective, a de quoi faire peur. Impensable.

 

Le temps de l’impensable et de son adjuvant, la sur-émotion, est arrivé, en même temps que celui des fake news. Ce qui est énorme peut être vrai. Ce qui est trop énorme aussi. On va devoir désormais naviguer entre ces provocations à l’entendement. Où le doute, si fin, si ratiocineur quelque fois, qui nous faisait cheminer au long de notre vie et avoir une petite part dans la détermination de ce qui est juste, beau et vrai, va-t-il aller se loger ? Le pouvoir, c’est désormais l’art de démêler le vrai du faux, avoir les bonnes grilles de lecture pour ne faire douter de rien. Et contrôler les chaînes d’info, amplificateur dévastateur, créateur d’impensable.

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