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Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.

LUCETTE FOR EVER

Je viens de terminer "La dame couchée" de Sandra Vanbremeersch (Seuil), qui a été "l'assistante de vie" de Lucette Destouches pendant 20 ans et jusqu'au jour de sa mort, le 8 novembre 2019 à l'âge de 107 ans. Un texte magnifique sur les dernières années de ce personnage-clé de la vie et de l’œuvre de Céline. On y voit vivre celle qui était devenue comme une reine discrète à Meudon, entourée de châles et de chats. On y voit la maison vivante qui craque et qui se délabre, le perroquet et les chiens, et la cour d'amis, d'amoureux et de pique-assiettes. Meudon (au sens métonymique) où on "montait" pour voir de ses yeux l’animal, et derrière elle, en abîme, la bête qui rôdait encore dans la crasse et la poussière, pour se faire photographier, pour voler des portraits. Meudon avec ses rites instaurés par François Gibault alias Jack, dandy facétieux, avec le homard du dimanche, le champagne, dans les canapés effondrés et moelleux, les petits fours, les fous rires.

La description charnelle de la déchéance de ce corps si ferme, jusqu’à devenir une enveloppe qui se boursoufle ici, se vide là, se tord, se rebelle, et que l’esprit continue d'habiter, la transformation organique de la maison qui ressent tout, la débandade des courtisans : le tableau est saisissant.

Mais entre les lignes, pour un "célinien" comme moi, qui pense que l'histoire de Céline s'arrête le 1er juillet 1961, on voit l'épopée se poursuivre à travers Lucette jusqu'en 2019. Celle qui fut exilée, enfermée avec lui dans la chair de ses romans, dans l’horreur de ses dérives, est arrivée jusqu'à nous, dépositaire et mémoire de tout - tant de poids dans tant de légèreté -, jusqu'à cette époque futile, transhumaine, artificialisée. Et en chemin, celle qui n'avait que 55 ans dans la vidéo ici, avec cette allure, cette grâce, cette discrétion et cette fidélité, a vécu dans la succession des époques, des styles, des modes. Elle a aimé les meubles en plastique, les tissus indiens, les tubes de rock, les vedettes de la chanson. Une vie moderne, en fait : la nôtre, si loin de la geste folle de Céline qui, à son corps défendant, trouve quand même le talent de nous avoir créé – car Lucette est un personnage de Céline – un opus posthume qui fait un pont, dans la brume qui monte de la Seine, parfois, entre les époques, par-dessus l’île Séguin.

Le texte de Sandra Vanbremeersh, tellement imagé, tellement vif, tellement malicieux aussi dans la description des personnages que l’on essaie d’identifier, tellement affectueux pour Madame D., tellement ému et émouvant, on se dit qu’il aurait pu donner matière à un beau chapitre de Céline.

 

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