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Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.

FRANÇOIS SUREAU, L’ENLUMINEUR

François Sureau a le talent merveilleux de donner envie de lire. Ou de ne pas lire : quand on est paresseux ou économe, on se satisfait de l’idée de lire, peut-être, un jour, les auteurs dont il parle dans ses livres avec tellement d'érudition et de sensibilité. On reste à la surface de l’œuvre de Sureau qui met l’œuvre d’un autre en abîme.

Il en va ainsi de Cendrars dont je n’ai jamais rien lu. Le petit livre « Un an dans la forêt » (Gallimard), de Sureau dont je dis, dans la présentation d’un roman que je termine d’écrire (et que vous ne commencerez peut-être jamais à lire) qu’il « enlumine ma bibliothèque », sous prétexte de nous parler de ce temps que Cendrars passa, à l’invitation d’Elisabeth Prévost, aventurière, fille de famille, muse dessalée, dans les Ardennes quand sa vie avait perdu assez de sens pour qu’il voulût en combler le vide par une équipée dont il ne mesurait pas la portée, peut se suffire à lui-même. Vous ne lirez peut-être jamais Cendrars, mais vous en aurez un portrait sensible, impressionniste, composé de mille touches d’érudition, d’éclairages incidents apportés par des références qui, chacune, vous fait interrompre votre lecture, pour aller découvrir qui sont, par exemple,  Saint Benoît Labre, le peintre Herter, Hortense Allart, Max Mallowan, Raymone Duchâteau, Alice Cocéa, le lieutenant Bringolf ou Séraphin de Sarov, de regarder sur une carte où se trouvent Hirson, le mont Ruwenzori, Saint-Anne de Kergonan ou la trappe de Soligny. Ce qui vous fait, avouons-le, consacrer beaucoup plus de temps à ne pas lire ce petit livre de quatre-vingt-douze pages qu’à le lire.  Vous aurez Cendrars, et en prime, tous les mondes auxquels il s’est rattaché. Et à travers lui, vous aurez Sureau, dont le portrait apparaît toujours entre les lignes, au hasard d’une note nostalgique, d’un sentiment fugace, d’un souvenir d’enfant dans le paradis perdu de la Geneste.

Les livres de Sureau, comme le prodigieux « L’or du temps » (Gallimard), cette geste séquanaise étourdissante habitée par l’énigmatique Agram Bagramko, le double de l’avocat-légionnaire-académicien français, sont des œuvres qui font semblant de s’intéresser à d’autres quand elles se suffisent, je l’ai dit, à elles-mêmes. Elles sculptent dans la matière accumulée, traversée, récoltée par ce Pic de la Mirandole pince-sans rire qui a vécu toutes les vies, une création à part entière. Les trésors qu’elles recèlent, les images qu’elles font naître, les pulsions qu’elles suscitent, bouillonnent quand le livre est ouvert, qui semble fuir de partout et, dès que vous le refermez, s’assagissent, se figent dans une impression persistante qui vous habite. Vous fermez le livre comme vous mettez un couvercle sur un faitout. Un fleuve Alphée qui reviendrait à sa source. Vous êtes fasciné, et un peu écœuré parce que la jalousie est à son maximum, par ce flot qui semble zigzaguer entre les références, les citations, les bouts d’histoires mis en correspondance, les personnages et les situations convoqués pour la démonstration. Ainsi, dans « Un an dans la forêt », Sureau veut montrer que « la biographie en dit plus long sur le biographe que sur l’objet de la biographie ». Il écrit alors : « Le biographe ressemble toujours un peu aux deux juges d’instruction puritaine du procès Strauss-Kahn, qui lui avaient vivement reproché son goût pour la sodomie, s’entendant répondre par Henri Leclerc ( Me H.Leclerc, avocat de D. Strauss-Kahn, NDLR) que leur ordonnance de renvoi en disait plus long sur leur vie sexuelle que sur celle du prévenu. ». Magistral.

Je termine « Un an dans la forêt » en même temps que j’écris ces lignes. Je ne suis pas sûr de ne pas lire, bientôt, Cendrars. J’ai bien lu « Ceux de 14 » après avoir lu « L’Or du temps », Sureau tenant Genevoix pour le plus grand écrivain de guerre. Mais je n’ai fait qu’acheter, pour l’instant, l’Abrégé de l’histoire de Port Royal de Jean Racine…

Retrouvez ici François Sureau parlant de "Un an dans la forêt". Il vous donnera envie de le lire. Et de lire Cendrars. Probablement plus que mon petit prurit passager.

Photo : Olivier Dion

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