Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.
Dans mon dernier article, j’évoquais la dimension messianique que revêtait l’attente de DSK. En attendant Dodo, c’était un peu le titre de cette comédie du pouvoir. Il allait revenir, il allait nous sauver des péchés de Sarkozy et de la tentation des sirènes marinistes. On allait voir ce qu’on allait voir. Et puis boum, brûlage d’ailes, chute d’Icare.
Bien sûr, j’ai une énorme compassion pour la femme de ménage de l’Hôtel Sofitel de Time Square. La vision supposée de ce « chimpanzé en rut » comme dit Tristane Banon, nu comme un ver (et comme n’importe quel chimpanzé en rut qu’on imagine assez bien en rut mais pas en slip ) est déjà un traumatisme. Le reste – s’il est confirmé – ne devant pas relever de la partie de plaisir.
Mais la vision de cet homme-là tombé de son tréteau, passé de la tribune au tribunal, de clou du spectacle à cloué au pilori, dans son petit manteau d’immigrant m’a franchement saisi, comme vous tous, probablement. Le procureur propret, la présidente wasp à souhait, les gros cops, les avocats empressés : pour un Dieu de la politique, quelle compagnie!
Au passage, avez-vous remarqué que ce qui vaut ici ne vaut aucunement là-bas, et quand nous débattons de cette affaire, quand les journaux en parlent, nous n’obéissons plus à nos lois. La présomption d’innocence, en premier lieu, qui semble être une espèce de luxe chichiteux et arrogant, étranger à l’homo americanus. En prise directe avec la violence de cet environnement sans autre garde fou que la main invisible du marché des émotions, nous avons oublié nos petits arrangements avec le diable. Quant à ce bon vieux mot, l’inculpation, qui prévalait depuis que la justice organisée existait, et que nous avons transmutée en douce, lisse, administrative « mise en examen », voici qu’elle a repris sa place dans notre langue, comme si de rien n’était. En Amérique, on inculpe, on ne met pas en examen. Ce petit retour en arrière, ce petit dessillement, me plaisent tout à fait. On aura au moins gagné ça.
Parlerons-nous d’une Passion de DSK ? Ou plutôt de Dominique Strauss-Kahn. Car le monsieur qui est en prison aujourd’hui, ce n’est plus DSK. DSK, c’est une marque politique, c’est un produit fabriqué par lui-même et par son entourage, par les médias, par nous, aussi, qui colportons ces trois lettres. DSK, c’est l’expression d’une vision. C’est un logo. Dans le box, plus de logo. Dans le costume pénitentiaire, plus d’icône singulière, mais un numéro, un homme ravalé à son rang le plus élémentaire. Un homme, donc, avec sa souffrance, ses cors aux pieds, ses hémorroïdes, sa barbe qui pousse. Avec ses remords, avec un film qui passe dans sa tête. Et à manger, tous les jours : des corn-flakes, du chili, des burgers, de la merde.