Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.
Avez-vous lu l’excellente Encyclopédie capricieuse du tout et du rien de l’excellent Charles Dantzig (Grasset) ? Une somme de listes donc, de tout et de rien, mais surtout de beaucoup de (bonnes) choses. Et la preuve de cette exceptionnelle agilité de l’esprit, tellement rare aujourd’hui chez un écrivain jeune, cette capacité à mettre en connexion tout ce qu’on a dans la tête, tout ce qu’on y a accumulé, tout ce qui y est entré par effraction, tout ce qui s’y est posé. Dantzig a accumulé beaucoup. Il peut donc jouer à l’infini avec cette base de données. J’avais déjà jubilé à son Dictionnaire égoïste de la littérature française. Une virtuosité exceptionnelle, un avis sur tout et sur tous, des détestations, et des amours. Cette liberté que donne le savoir, cette distance. « Gide, c’est moins que ce qu’on a dit de Gide. »
Les listes. C’est vrai qu’on en a tous fait, un jour ou l’autre. Celle des courses, celle des invités à son mariage, celle des cadeaux de Noël. La plupart du temps, on fait les listes pour soi, pour ne rien oublier.
Mais quand on donne à lire à d’autres une liste, de gens, de choses, il y a un message derrière, une envie de partager la logique de l'énumération, le principe d’association entre les différents éléments. Il y a des listes sinistres, des listes qui dénoncent. Mais les listes comme celles de Dantzig, des listes d’idées, sont des invitations à agréger les siennes propres. Des listes qui libèrent. Ce sont des œuvres à part entière, troussées, fignolées mais qui se savent à la merci d’un ajout de la part du lecteur. Ou d’un retranchement.
Tiens, je vais en risquer une, pas longue, de très petites choses sans importance. Qui va avec ce blog, et m’attirer des ennuis. « Mais de quoi tu te mêles ? Tu n’as donc rien d’autre à faire ». Je me mêle de ce que je vois et de ce que j’entends. Des messages qu’on m’adresse. « Mais on ne t’adresse aucun message ! Les gens font ce qu’ils veulent ». Alors tant pis. On va dire (c’est à la mode de dire : « on va dire ») que c’est ma vision : se mêler des affaires des autres, c’est juste essayer de les comprendre. Plutôt que de s’en contreficher. Et puis, zut, c’est de la curiosité !
Des détails qui tuent
Les hommes avec une écharpe rouge en permanence, qui ne fait pas le tour de leur cou, mais pend de part et d’autre: ils n’appartiennent pas à la même communauté, ne sont pas toujours staliniens. Qu’est-ce qui les rassemble ? La même raideur, peut-être la même relation aux autres : se faire remarquer, avec un accessoire inutile quand on n’a nul frimas, zéphyr, trachéite à affronter. Un égorgement symbolique, rouge sang ? Quelque chose en travers de la gorge ? Ils auraient aimé être prêtre, avec une étole écarlate? Oui, c’est plutôt ça : prêcher, en vous postillonnant sous le nez.
Un pendant à l’item précédent : les femmes d’à peu près quarante-huit ans avec les cheveux teints en rouge, coupés court et coiffés en pétard. Ca, c’est vraiment une espèce de femmes. Je ne sais pas du tout ce qui leur passe par la tête avant qu’on leur passe la couleur dessus. Elles ne croient quand même pas que c’est beau, joli, charmant, élégant ? D’autant que leurs lunettes à complications tiennent avec une chaîne en écaille pur plastique. Ca fait un ensemble vraiment très moche.
Les jeunes gens marchant les jambes écartés pour retenir un pantalon qui leur tombe, même avec une ceinture, au niveau des cuisses. Du coup, ils se retrouvent en caleçon (Dolce & Gabbana) ; il paraît au départ que c’est pour revendiquer une posture rebelle. On enlève leur ceinture aux keums arrêtés par les keufs. C’est dire si c’est la classe ! J’en ai vu un qui voulait courir, l’autre jour. Impossible. Faut choisir, mon gars.
Les types avec des lunettes de soleil dans le métro. Que croient-ils qu’on se dise de leur regard sur le monde ? Rien. Une politique (portative) de l’autruche : je ne vois rien, on ne me voit pas ? Ils n’ont pas tous un œil au beurre noir, quand même !
Les chanteurs de rap qui vous engueulent, dans leur mise en scène clinquante, sexiste, pour tout dire imbécile. S’il y a un message dans les paroles, il y a un tel fatras d’attirails, de stéréotypes, de codes à deux ronds que le message est mort avant d’avoir passé le sas de leur bouche. Ce qui est terrible, quand je dis ça, parce que je le dis, c’est qu’on me rétorque : « Tu n’y comprends rien, ce n’est pas de ta génération ! ». Mais ce n’est pas un problème de génération. C’est un problème de civilisation.
Des détails qui tuent la langue.
« Loin s’en faut » : on fait le précieux, et voilà. On a juste associé deux expressions qui se sont télescopées : « Loin de là », et « Tant s’en faut », qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Un barbarisme prétentiard. De l'acabit de "l'heure d'aujourd'hui" particulièrement appréciée des "consultants" sportifs.
« Vingt heuros, cent heuros, quatre-vingt heuros ». Tu m’étonnes ! On n’a pas tous les jours vingt hans, la Guerre de Cent-Hans, mon père a quatre-vingts hans. Ils croient que c’est une marque, euro. Un truc artificiel, dans un emballage qui l’exempte et le protège de toute liaison triviale. L’euphonie ? Mais de quoi tu me parles ?
Allez, j’arrête. Je vais me faire black-lister.