Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.
Vous est -il déjà arrivé qu’un de vos plus proches amis, mort depuis 17 ans, ressuscite ? Non, bien sûr. C’est très, très rare. Eh bien, moi, ça vient de m’arriver, lundi dernier.
Un garçon brillant, compliqué, malheureux, cultivé, drôlissime, désespéré, disparaît. Pour tout le monde, il a pris la poudre d’escampette. Il s’est volatilisé, ventilé, dispersé. Il est mort : peut-être effectivement. Ou mort pour vous, pour sa famille, ses enfants, ses amis, les gens qui l’aiment ou qui l’ont aimé. En faisant le mort. Vous, vous avez 36 ans. Vous venez de divorcer, vous venez de vous faire virer de votre job. Tout va normalement. Votre pote, lui, voit les choses très différemment. Il en est à peu près au même niveau de succès que vous. Mais au lieu de s’embêter à reprendre tout à zéro, à se dire : « Mais comment vais-je faire ? Que vais-je faire ? Qui va m’aimer ? Comment vais-je prendre ma part dans l’éducation de mes enfants ? », lui, il se dit : « Je m’en vais ». Et il disparaît du monde. Vous le cherchez. Vous vous dîtes : s’il n’a pas choisi le pire, il s’est enfoncé dans une rue sombre, s’est caché. La rue ? Un petit interstice pour se blottir, à Paris, ou Nice, ou Pointe-à-Pitre, ou nulle part ? L’incroyable parenthèse. Pendant 17 ans, j’ai vérifié dans tous les groupes de SDF que je croisais s’il n’y était pas. C’est dire si j’ai pensé à lui, ces dernières années.
Et puis, lundi : « Bruno M. vous a envoyé un message sur Facebook... ». Le cadavre exquis, ce n’est pas celui qui s’étale en dessous de ce post. C’est lui. Il y a des joies tellement inattendues. Un peu hallucinées, en suspension. Des sensations rarissimes.
J’ai vu Bruno. He is alive and living in Paris. Il veut retisser le lien, reconstruire une vie, inventer une relation avec des enfants qui ont poussé, superbement, sans lui. Ré-exister.