Aux confins, nul n'était jamais allé. Nul n'y avait fait étape. Nul n'en avait la même idée, pour tout dire. Certains y voyaient la grande liberté, l'ailleurs absolu. D'autres, une limite infranchissable, une frontière interdite.
Aux confins, on arrêtait le temps ou on passait à autre chose. On se cloîtrait par volonté ou on se retrouvait attiré comme par une terra incognita.
Aux confins, on s'est vu saisi comme à Pompéi, assigné à résidence, stoppé dans son mouvement. Scruté par l’œil immobile d'un voisin, d'un juge, d'un flic.
Aux confins, on s'est dit : "Je saute ?", au point où j'en suis, je fais un pas de plus ? Je pars, je m'enfuis? J'en profite ? En avril, ta liberté ne tient qu'à un fil. En mai, fais-le s'il te plaît.
Aux confins, comme jamais, les champs verdissaient, les forêts embaumaient, les merles sifflaient, les étangs frisaient, la mer ressassait ses démons et merveilles.
Aux confins, on a poussé les murs invisibles, on s'est économisé, on s'est stocké avec les paquets de nouilles et les boîtes de thon. On s'est facetimé. Mais aussi, tout au bout de l'ennui, de l'horreur, de la colère, de la détresse, on s'est haï, détesté, tapé dessus.
Aux confins, on s'est rendu compte qu'il n'y avait plus un monde réel et un monde virtuel. Il n'y avait plus qu'un seul monde : celui d'aujourd'hui. Ce qu'on vivait était vrai, sur les écrans de nos vies. Aucune émotion n'était virtuelle. L'amour passait, la joie, la peine, le désespoir aussi.
Aux confins, on a peut-être inventé un autre genre de vie, en faisant subir à ce que nous sommes comme société, comme civilisation, un torture-test paroxystique. Nous avons pensé un impensable encore plus impensable que ceux que j'entrevoyais ici.
Poussés au bout, poussés à bout, em-portez vous bien, aux confins.
PS : pour ne rien vous cacher, j'ai toujours adoré le mystère enchâssé dans ces deux mots : "aux confins". Je viens de m'apercevoir aujourd'hui qu'ils étaient enfermés dans le confinement.