Il y a parti à prendre, partout, sur tout. Il y a avis à donner, opinion à dire, tripes à mettre sur la table. Exprimer sa liberté.
1. « La carte et le territoire » de Michel Houellebecq (Flammarion)
Je n’ai pas encore terminé le dernier livre de Houellebecq mais je n’attends pas une seconde pour vous en parler. Quel talent ! Ah la simplicité d’expression, cette épure apparente, ce réalisme travaillé et l’extrême sophistication de l’intrigue qui pourtant coule avec énormément de fluidité. Houellebecq met à distance tous les raconteurs d’historiettes, tous les stylistes ampoulés, tous les pisseurs de copie. Il met l’époque dans son livre, il met les marques, les vraies gens, le mouvement et l’écume des jours. Il met les dégoûts, les prurits, les déprimes.
Mise à distance, mise en abyme aussi : voilà-t-il pas qu’il est un des personnages-clés du roman. Il y évolue tel qu’en lui-même, ou dirais-je plutôt, tel qu’hors de lui-même. Tel qu’il sait que nous le voyons, silhouetté par les médias, fabriqué par sa propre provocation, mais trouvant sa réalité à notre prisme. Vous allez voir comment il réussit à se révéler profond, joueur, empathique, finalement. Un tour de force.
Jed Martin, son héros, artiste complet, mi-spectateur de sa propre œuvre, mi-torturé par elle, catalyse les dynamiques et les miasmes de notre époque, écran sur lequel viennent s’imprimer les clichés du temps et légataire d’une universelle histoire de l’art.
Houellebecq, entomologiste parfait (il est ingénieur agronome, ne l’oublions pas), capture, observe, relâche ou pique. L’information technique voire scientifique accompagne le flux romanesque : Houellebecq digresse dans la description, la recherche documentaire. Ça ressemble à du Wikipedia, mais ce n’est pas grave. D’ailleurs ça ne fait pas que ressembler à du Wikipedia, c’est parfois du Wikipedia dans le texte (voir ici).
Le résultat de cette virtuosité est un livre riche, profond, en prise directe avec notre vie, nos mœurs. Un livre extra-lucide, tellement Houellebecq voit « les choses qui sont cachées derrière des choses », l’extra-ordinaire derrière la banalité. Un livre bizarrement apaisé, aussi, rond, magistral. Et mortel.
2. Rouleau de PQ (Casino)
Je n’ai pas parcouru d’un derrière distrait (comme l’avait fait Henri Jeanson d’un manuscrit qu’on lui avait envoyé) ce papier moelleux et orangeâtre trônant dans un petit coin que j’honore quotidiennement de ma présence. Voilà-t-il pas qu’un marketeur philosophe (tâtez moi cet oxymore) l’a parsemé de maximes. Et j’y ai trouvé une des plus profondes vérités qu’il m’ait été donné de lire et que la solennité de l’endroit m’a permis de saisir vraiment : « La douceur est invincible ». Sortez des cabinets, regardez le monde. Invoquez Gandhi, Françoise Hardy ou Talleyrand. C’est beau, et c’est définitivement vrai. C’est le véhément qui vous le dit, pour l’avoir éprouvé…